Conversations du dimanche

Chronique suite à la Conversation du dimanche 3 mai 2020

La Normalité. C’est comme l’utopie : elle est ce qui est irréalisée et irréalisable. Elle serait tellement merveilleuse à vivre. Confortable. La norme est ce qui est communément attendu. Elle est établie par une moyenne mais comme la société n’est pas accessible systématiquement à tous, les personnes en situation de handicap ne sont pas visibles. Elles ne peuvent donc pas être incluses pour établir cette moyenne : la norme.

Ce dimanche nous avons abordé la question de la normalité, en parlant de nos expériences à l’école. La moitié des participants a suivi sa scolarité en milieu ordinaire et témoigne de certains problèmes. Raison pour laquelle aujourd’hui, Anne qui a 35 ans, court comme elle peut et rééduque, sensibilise les âmes aux handicaps, en intervenant dans les écoles, collèges, lycées. Elle fait de la politique. Ses interventions remettent de l’ordre dans la Cité, dans la République.

Le milieu scolaire ordinaire peut être l’endroit des harcèlements « ordinaires », c’est à dire « normaux », de la part des élèves et des professeurs. Auto-proclamés « normaux », les uns et les autres règnent en borgne dans le royaume des « personnes non-voyantes ». Ils triturent leurs petits camarades ou leurs élèves des sadismes «ordinaires » et usuels, par respect pour le sens de la hiérarchie : le Saint-Esprit, le pauvre pécheur ?

Certains parents ont dû intervenir pour que leurs oisillons ne soient pas dévorés tout cru par des ogres issus de l’institution. Mathieu a 15 ans, harcelé par un autre élève de sa classe, en réfère au responsable pédagogique qui n’intervient pas. Dans le même établissement, Mathieu se rappelle d’une situation bien pénible à vivre : le prof de sport est comme les autres. Il peut être un fin pédagogue qui élargit les voies de l’existence ou quelqu’un qui te rappelle ce que le corps aurait dû être. « Je ne sais pas quoi faire de toi » a-t-il affirmé à Mathieu, qui n’a pas su quoi faire de ça.

Il était « consciencieux » ce prof de sport qui vivait en symbiose dans l’éco-système d’une école où le harcèlement est toléré, par habitude. Elle est jolie la formation des profs de sport !

(message aux Prof en université de STAPS : le sport accessible à tous est un concept de littérature. Les élèves des écoles sont vos futures clients, même les « handicapés ». C’est une belle niche qui rapporte (10 millions de personnes en France). Mets-y les formes.)

Est-ce un accident, cet harcèlement de Mathieu, par cet élève et le prof de sport ? Non. C’est bien pour cela que j’insiste.

Une autre participante raconte à son tours, son expérience : une prof de lycée n’accepte pas le tiers temps accordé aux interros. C’est le bras de fer; elle a dû se défendre.

Parfois il faut aussi se défendre face aux professionnels de santé. Cela signifie : faire entendre ce que l’on ressent, ce que l’on pressent, ce dont on a besoin de partager pour se faire aider. Cela peut être décourageant et épuisant psychologiquement : Marie est marchante, à l’époque elle marche en déambulateur et son médecin pense que cela pourrait être dangereux de continuer à marcher. Elle lui dit : « je te conseille de ne pas marcher, prend plutôt un fauteuil ».  Marie n’a pas compris. Ca n’était pas à elle de comprendre.

Stéphanie Fauré


Chronique suite à la Conversation du dimanche 26 avril 2020

En ces temps troublés par la pandémie, la voie est ouverte à toutes les initiatives. Au terme d’une séance de Gym en visio-conférence, organisée par un kiné, un échange s’est poursuivi entre 6 personnes avec Paralysie Cérébrale. Puis un deuxième. Pendant cette visio-conférence, la tranche d’âge est de 22 ans à 64 ans (2 hommes – 4 femmes.) Qu’avons-nous à nous dire ? Qu’avons-nous à partager ?

Bien avant le confinement, avec quelques personnes avec PC, nous nous étions déjà retrouvés à Nice à 4, pour discuter de nos parcours avec cette pathologie : l’enfance, les amours, la famille, le regard de l’autre.

Chaque pathologie ou maladie a ses caractéristiques. Il naîtra peut-être quelque chose de nos échanges alors que nous vivons avec ces mêmes caractéristiques. Nous naviguons à visage découverts sans savoir où nous allons.

Les personnes avec PC n’ont pas connu d’ « avant ». Elles font avec depuis leur naissance. Elles se sont construites avec. Comme me l’avait dit un « thérapeute » emporté par une envolée lyrico-analytique : « tu es née avec, tu es habituée ». Je m’appuie sur cette confusion entre l’habitude et l’adaptation pour relater que personne dans le groupe ne s’est habituée à un corps qui a toujours raison- comme pour d’autres-  et qui rend parfois la vie impossible.

C’est l’adaptation qui qualifie nos vies et nos orientations quand cela est possible. Dans cette discussion, la question de la dépression a été abordée. Les personnes participantes ressentent avoir bien été aimées, le handicap est souvent nié ou mal accepté. Une personne ressent que ce handicap a été occulté : « c’est l’épine de la famille qui emmerde tout le monde ». Personne de ce groupe n’a été caché au sens propre mais une personne ne se sent toujours pas acceptée.

La souffrance physique et la fatigue ont été abordées. Quand on souffre tout le temps, comment continuer à participer aux activités sociales en groupe. « Je ne peux pas tout le temps me plaindre, même si cette plainte exprime une dure réalité : je souffre mais je souhaiterais que cette souffrance ne m’exclût pas des activités en groupe, en famille ou à la fac. On sert les dents depuis qu’on est né ». C’est donc au plus faible à s’adapter au groupe valide et non l’inverse.

Si vous n’êtes pas une personne avec PC aujourd’hui, vous ne le serez jamais mais vous pouvez trembler de la vie qui vous attend, si vous vous retrouviez en situation de handicap. Sachez que se faire aider médicalement, thérapeutiquement est une lutte !

Toutes les personnes du groupe ont l’ « habitude » de souffrir quand elles cherchent un kinésithérapeute qui pourraient les aider « vraiment ». Prendre soin de soi peut devenir énergivore voire épuisant. La majorité des participants a témoigné de grandes périodes sans kinésithérapie, par dépit.

On ne s’habitue pas à entendre des phrases telles que « désolé, je ne prends plus de patients – mon cabinet n’est pas accessible – je ne donne pas de coordonnées de confrère ça n’est pas autorisé – c’est pas mon truc la neuro ».

C’est le truc de qui la neuro ? Qui permet à des kinés de sortir diplômés ? Qui prend la responsabilité de cette situation.

Stéphanie Fauré

Mis en ligne le 27 avril 2020